vendredi 9 janvier 2009

Un dimanche à la campagne

Qui n’a jamais rêvé de grandir à la campagne en famille avec parents, frères, sœurs, oncles et tantes, grands-pères et grands-mères… Bref, une grande famille unie, qui se retrouverait les dimanches autour d’une grande table sur laquelle se mêleraient terrines diverses, salade verte, gros pains de campagne, beurre, vin rouge, tartes salées, le tout préparé par la maîtresse de maison. Un vrai plaisir gourmand, une ambiance conviviale, fraternelle, conversations joyeuses autour d’un petit verre de vin certainement de trop, chacun raconterait sa blague, chacun raconterait son souvenir qui en ferait rougir certains et rire d’autres. Et chaque dimanche soir on penserait déjà au week-end suivant. Et le dimanche suivant on recommencerait, et ainsi de suite sans jamais se lasser !

C’est dans cette ambiance-là que j’ai grandi à la campagne. Pour les repas de famille du dimanche, nous étions cependant moins nombreux, en plus de mes parents et de mes deux sœurs, il y avait mon grand-père, le père de maman. Un grand homme et un homme grand. Il était grand de tous les points de vues : par la taille, il mesurait 1m85 même si la vieillesse lui avait enlevé quelques centimètres ; il était grand dans la largeur aussi, il adorait les couscous ; et surtout, il était grand dans le savoir-faire de tous les savoirs du monde entier. Un vrai superman, un vrai héro de la deuxième guerre mondiale. C’était un homme extraordinaire, il avait tout fait, tout vu, et en tant qu’ancien militaire, il savait ce qu’était la vie, la vraie, la dure, celle de son époque, la belle époque, parce que maintenant, rien à voir avec la vraie vie.

Les repas des dimanches se déroulaient souvent de la même façon. Maman voulait faire plaisir à tout le monde en préparant un bon repas, en allant chercher son père, en créant une atmosphère agréable, familiale, décontractée. Ce n’était pas toujours si simple. J’ai du mal à me souvenir comment tout commençait, une phrase, un mot, un silence ou alors un geste, je ne sais plus. En revanche, je me souviens parfaitement comment tout terminait : la table se vidait petit à petit de ses hôtesses, après une conversation animée que les promeneurs dominicaux pouvaient entendre depuis la rue. Ensuite, c’était mon père qui, une fois son bout de fromage avalé, allait se mettre dans son fauteuil, devant la télé, en réclamant son café à celle qui avait eu la flemme de participer à la conversation du jour. Finalement, il ne restait plus que le chef de la discussion, mon grand-père. La suite était aussi prévisible, mon père finissait par aller faire la sieste, ma mère et nous, une fois la tempête passée, faisions la vaisselle, et mon grand-père, toujours assis devant sa tasse de café vide, attendait qu’on le ramène chez lui.

Mais parfois nous avons fait la joie de notre grand-père. Par exemple, quand j’allais à l’école primaire du village, il m’arrivait souvent d’être malade. Mon grand-père me gardait alors, et il m’emmenait dans sa vieille Opel violette, « très vieille mais comme neuve » répétait-il souvent, et nous allions jusque dans les bois écouter de la musique de chasse à cours en dégustant une pâtisserie tout juste achetée. A l’époque, je faisais les choses bien. Puis j’ai fait l’erreur de grandir et d’avoir des idées et un caractère. A l’adolescence, c’est fou les mauvaises habitudes qu’on peut prendre. On voudrait tout savoir très vite, on voudrait tout faire très vite, et on n’écoute pas les conseils de quelqu’un qui a vécu, de quelqu’un de sage. Je pensais que ma mère et mon père étaient des personnes qui connaissaient la vie, mais je me suis aperçue rapidement que personne ne pouvait mieux savoir que grand-père. Sa propre fille ne faisait jamais rien de bien, et ne parlons pas de son gendre... Je me suis toujours demandé comment un être aussi parfait que grand-père pouvait avoir fait une fille aussi inutile, et l’avoir laissée se marier avec quelqu’un tout aussi inutile. J’avais du mal à comprendre également pourquoi grand-père parlait tellement de sa voisine, une femme charmante, aimable, gentille, et qui avait des enfants intelligents, habiles, très gentils et très travailleurs, ou pourquoi il parlait de son autre voisine, d’en face cette fois, charmante également, généreuse, un vrai trésor, ou encore de sa femme de ménage, une femme exceptionnelle et indispensable. J’en étais arrivée à la conclusion que finalement, dans ce village, tout était une question de quartier : le nôtre, celui des bons à rien, le sien, celui des gens parfaits. J’essayais alors d’aller régulièrement chez lui en pensant qu’une fois dans sa maison, je devenais quelqu’un de bien… Je me suis vite rendu compte que c’était en vain. J’avais été élevée dans le mauvais quartier, il n’y avait plus d’espoir pour moi.


(l'art du paradoxe)

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