vendredi 9 janvier 2009

Je me souviens

Je me souviens de mon premier baiser de cinéma. Il y a longtemps. Nous montions dans la tour du château, enfin, de ce qui reste du château, c’est-à-dire la tour. Au début, c’était seulement des petits bisous sur les lèvres. Et puis, il y eut la langue. Il avait 14 ans, j’en avais moins.


Je me souviens du premier jour dans mon nouveau collège. J’ai encore en mémoire la chanson qui passait à la radio dans la voiture, quelques minutes avant d’arriver, une chanson de ZZ Top… Je n’ai jamais aimé. Je me souviens du « T’as vu, c’est la nouvelle ! » chuchoté par un de ma classe, lors de l’appel dans la cour.


Je me souviens du premier mort que j’ai vu et touché. Toute la famille était réunie autour de son lit, chez les grands-parents. Quelques personnages dans la pénombre : certains indistincts, peut-être mes oncles et mes tantes, puis mon père et ma mère, certainement, ma grand-mère et mon grand-père, c’est sûr. Juste à côté de moi se tenait mon cousin. Et le mort, étendu sur le petit lit, dans la pièce contiguë au salon. Mon cousin et moi étions trop petits pour comprendre ce qui se passait, et en même temps, nous étions attirés par ce corps allongé, inerte, blanc. Grand-père nous poussa à le toucher, sous le regard amusé du reste de la famille. J’entends encore les conversations et rires étouffés. Avec beaucoup de courage, je me décidai à m’approcher un peu plus et toucher ce qui se présentait en face de moi, ses pieds. Le contact entre ma main et son pied ne dura qu’une seconde, la peur m’envahit, c’était froid. Longtemps après je compris que cet inconnu s’appelait Momo ou Maurice.


Je me souviens de ma première copine. J’avais 6 ans. L’heure du sport était arrivée. Il fallait se mettre en rang par deux. J’étais toute seule, elle était toute seule. Je lui ai demandé : « tu veux être ma copine ? ». Elle me dit oui, et on se prit la main. C’était si simple.


Je me souviens de la première fois qu’il m’a embrassé. C’était un mercredi après-midi du mois d’avril, il y a 13 ans maintenant. Une semaine de vacances pour moi, une semaine de permission pour lui. On venait de passer quatre jours à visiter les alentours, la campagne, les villages et leurs églises, quatre jours à se lever aux aurores et profiter des journées sans se lasser. Et arriva le mercredi. Assis sur mon lit, l’un en face de l’autre, on bavardait, on riait, on écoutait de la musique. Puis un ange passa, les bavardages se transformèrent en pensées, les rires en pleurs et la musique nous parut mélancolique. Et le silence. Plus que deux jours. Déjà, je pensais à son absence. Il m’embrassa à cet instant. Oui, je me souviens encore de ce moment tant attendu tant désiré, et qui se réalisait enfin. 12 ans après, on se mariait.


Je me souviens de notre premier appartement, 6 rue Bourcani, petit, humide et froid. Pour se chauffer dans la cuisine, nous allumions le four à gaz. Dans la chambre, il y avait un radiateur extraterrestre qui chauffait nos têtes et congelait nos pieds.


Je me souviens de mon premier voyage seule, juste après le bac. Des valises pour un an, direction Grenade. Je me souviens de mon silence dans le brouhaha de la gare à la frontière, je me souviens de mon silence dans le train. Je me souviens de mes premiers mots, en anglais, à un couple assis près de moi, puis de mon silence à nouveau.


Je me souviens de ma première poupée. Elle portait une salopette de plusieurs couleurs : jaune, bleue, rouge, verte et les manches étaient blanches. Elle était blonde avec les cheveux longs et mal coiffés. La tête gardait les marques de dents du chien, mais c’était ma poupée, et je n’en voulais pas d’autre. Impossible de m’en séparer, je pouvais jouer dans ma chambre, dans le jardin ou à la ferme, elle me suivait. Même lorsque je devais monter ou descendre l’escalier, encore en stade d’échelle, qui menait à notre nouvelle chambre, je ne voulais pas la laisser. Résultat, beaucoup de pleurs et de peur aussi bien pour moi que pour mes parents qui me voyaient descendre de la chambre plus vite que prévu, la poupée sous le bras. Partout où j’allais, elle allait. C’était mon double, j’étais blonde à l’époque.


Je me souviens de la première fois que j’ai réussi à faire du vélo. Dans une petite cour intérieure chez des amis. Le vélo était trop petit, les pneus étaient dégonflés, et je m’ennuyais. Mes parents n’ont jamais compris pourquoi là-bas, et pas à la ferme. J’avais 13 ans.


Je me souviens de mon premier voyage en Suède. Septembre, ciel gris menaçant, vents forts, mer insaisissable, froide, pulls et imperméables, lui et moi trouvions refuge dans des cafés déjà déserts. Je mangeai mon premier hamburger au hareng fris dans le port d’un petit village, inoubliable, concombre sucré, poisson salé, aneth. Et puis il y eut sa chambre d’étudiant, ses amis et leurs conversations dans une langue qui m’était alors inconnue. Premiers silences, premières disputes, premières réconciliations. On s’aimait. Après quelques jours dans le sud du pays, la vieille ford fiesta blanche nous mena chez ses parents. 3 heures de festival de couleurs : jaune, orange, rouge, marron pour les arbres, vert pour les champs, rouge lis de vin pour les maisons. Dans sa ville, les maisons étaient en fête aussi : il y en avait des bleues, des rouges, des blanches, des jaunes. La sienne : jaune. Et devant la maison jaune : ses parents. Après des présentations informelles, sa mère me prit dans ses bras et me glissa à l’oreille un « Bienvenue dans la famille » dans un français adorablement approximatif. Je fus remplie de joie. Je me souviens, c’était notre première rencontre.


(première fois: l'inventaire)

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