vendredi 9 janvier 2009

Là où tout commence

C’est là où tout commence et où tout finira certainement, là où il n’y a rien à faire le dimanche, sauf peut-être quelque brocante au détour d’un village, là où l’odeur de la campagne et des vaches commence à s’éteindre, là où le commérage fait bonne figure ; c’est là où la nuit se transforme en dame de jour pour recevoir tous ses invités, là où le chant du coq sonne l’heure de se coucher pour certains, de se lever pour d’autres, là où l’histoire a laissé des traces impérissables et majestueuses, là où l’été assoiffé enchante les visiteurs ; c’est là où soleil rime avec minuit quelques jours dans l’année, là où les bougies réchauffent les cœurs quand le froid infiltre les corps, là où les maisons vêtues de leurs plus belles couleurs s’admirent dans le miroir de l’eau ; c’est là où tout le beau monde, d’ici et d’ailleurs, se retrouve à l’heure du thé avec Madame T., là où la pluie n’est plus un mythe, là où tous les styles se mélangent et où on peut passer inaperçu ; c’est là où le froid de l’hiver vous gèle les mains, là où les hamburgers n’ont pas réussi à déloger les pirojki, là où la couleur de la peau est encore un laissez-passer, là où les branches de boulot servent à fouetter le dos dans les chaleurs étouffantes des banias ; c’est là où de somptueux édifices font de l’ombre à toutes ces maisons délabrées où règnent les cafards, là où l’art sert de gagne-pain à des milliers de personnes, là où l’histoire a laisser des traces moins somptueuses cette fois et peu avouables ; c’est là où un sourire ne coûte rien mais veut dire beaucoup, là où le vélo, qui autrefois peuplait les villes et villages, doit se battre pour garder sa place, là où respirer de l’air pur devient un combat de chaque jour, là où garder un secret est du domaine public ; c’est là où la vie ne vaut pas plus qu’un vieux téléphone portable, là où le printemps est éternel, là où l’esclavage n’a pas complètement disparu, là où avoir treize ans ne veut pas toujours dire enfant, là où la terre tremble et le feu jaillit, là où tout est possible, le bien comme le mal ; c’est là où les saisons se suivent et laissent une trace à chaque passage, là où l’argent n’est plus un mystère, là où tout est si près et si loin à la fois, là où la vie s’écoule paisiblement, sereinement, lentement.
Là où soi-même on réapprend à vivre paisiblement, au grè des saisons, sans avoir peur d’un enfant sur le chemin de l’école, ni du bruit du canon pour effrayer les oiseaux au-dessus des vignes, avec une vie rythmée par des promenades à l’air libre et pur sans trop se préoccuper de ce type derrière, qui nous a paru louche bien sûr, mais qu’on oublie vite ; là où soi-même on réapprend à vivre en laissant derrière soi cette peur qui nous tenaille à chaque mouvement de terre ou peut-être n’est-ce qu’un simple vertige, et puis on ne se laisse plus avoir par l’hiver, même si on avait un peu perdu l’habitude, bonnets, écharpes, gants redeviennent nos meilleurs amis, et la pluie aussi ; là où soi-même on passe des heures à se remémorer, à la lueur des bougies, ces balades à vélo au péril de notre vie, ces colères prises au milieu d’une population incrédule, cette visite chez le médecin qui a tourné en réunion publique, ou le nombre de cafards qu’on a eu la malchance de croiser, ou encore comment on a honteusement réussi à grappiller quelques sous pour cette chemise brodée mains ; on se raconte ces histoires puis on réalise que le temps passe et qu’on n’a plus l’âge de faire la fête jusqu’au lever du jour, que les grasses matinées ne font plus partie de notre emploi du temps, que les petites excursions spontanées, où on se voyait manger des pirojki encore chaudes au milieu de nul part en attendant un éventuel bus, doivent être maintenant calculées, que mettre ces chaussures avec cette jupe fait trop vieux, ou trop jeune, ou on n’ose pas, que là où tout commence ne ressemble plus à ce souvenir qui nous habite, et le chemin blanc ne mène même plus aux vaches.


(filiation symbolique, généalogie de lieux)

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