vendredi 9 janvier 2009

Explorateur

Explorateur, voilà ce que j’ai toujours rêvé d’être. Certainement parce que je ne ressemble en rien à un explorateur, parce que j’ai toujours été, au grand désespoir de mes parents, plutôt chétive, frêle, toujours malade, imaginaire sans doute, et ayant peur de tout, même de la pauvre fourmi qui perturbée par l’intrusion de mon pied dans son chemin, avait eu l’audace de passer dessus. Je me souviens encore, pendant trois nuits elle était venue troublée mon sommeil, pour se venger.

Aujourd’hui, ‘explorateur’ n’a plus vraiment de sens, ou plutôt, il n’a plus le sens qu’il avait au temps de Marco Polo par exemple ou encore de Christophe Colomb. Maintenant, il n’y a plus que les enfants qui vont à la recherche d’un trésor dans le petit bois près de la rivière, à la sortie du village, et qui reviennent en croyant avoir découvert un trésor unique : le crâne d’un ragondin, ou les os d’un autre petit rongeur mort plusieurs mois auparavant. Evidemment, je ne faisais jamais partie de cette bande d’aventuriers ; toujours exclue pour être une fille, ou pour être malade, ou pour je ne sais plus quelles raisons encore, je n’avais pas d’autre choix que de les regarder de loin, d’admirer leur courage, d’envier leur sexe. C’est donc en voyant mes copains, mes cousins braver les dangers de la rivière asséchée que j’ai décidé de devenir explorateur.

Plus de vingt ans ont passé, et me voilà aujourd’hui à Livingston prête pour le départ en bateau, seul moyen de rejoindre Rio Dulce. Bien sûr je ne suis ni aventurier, ni explorateur... Ou plutôt si, je le suis, mais à ma façon. Faire des photos dans un pays comme le Guatemala, en étant une femme, chaque expédition est une vraie expédition.

Le bateau a quitté le quai depuis quelques minutes maintenant, et nous pouvons déjà voir l’entrée de la rivière qui nous mènera à destination. Ce n’est pas la première fois que je fais ce voyage, et pourtant je suis chaque fois autant intimidée par la grandeur de la nature qui nous entoure, et qui impose le respect. Et chaque fois je m’imagine être un Hernan Cortés ou un Pedro de Alvarado, navigant sur cette eau pour la première fois. Bientôt 500 ans après, je peux sentir le bateau s’avancer tout doucement vers son destin dans les méandres de la rivière, l’équipage certainement envahi par l’inquiétude et la curiosité. La première courbe passée, on ne voit plus la mer, on se sent comme emprisonné entre quatre murs de forêt vierge, avec des racines d’arbres démesurés plongeant dans l’eau pour chercher un peu de fraîcheur. Pas de bruit, à part les quelques pélicans qui discutent de temps en temps, et le souffle attentif des marins ; pas de vent non plus, le bateau n’a jamais avancé aussi lentement depuis son départ d’Espagne.

Oui, je me vois bien sur ce bateau, bravant la chaleur, le soleil et les moustiques, pour découvrir qu’à la fin de cette rivière-serpent se cache un immense lac, presque aussi calme que la rivière, aussi silencieux, avec tout autour de nombreuses montagnes camouflées dans quelques nuages, et un soleil couchant transformant l’eau en véritable miroir. Au-delà de la beauté du paysage, il doit y avoir ce sentiment d’être observé par des peuples inconnus, cette peur de mourir qui ne doit jamais quitter ni les marins ni les soldats. Mettre une chaloupe à la mer, aller en reconnaissance sur le rivage le plus proche et rencontrer pour la première fois les habitants de ce lieu si magique.

Aujourd’hui, assise dans un bateau à moteurs, l’aventure n’est pas la même ; la nature est tout aussi intimidante, les paysages merveilleux, mais il n’y a pas cette curiosité, cette euphorie, ou encore cette excitation qu’auraient pu ressentir les marins ou soldats espagnols. Le silence, qui devait donner au spectacle cette impression de temps suspendu, est rompu par le bruit incessant des moteurs. Non, aujourd’hui, la traversée du lac Izabal n’est plus une aventure, aller jusqu’à Livingston prend peu de temps, les temples mayas ont tous été découverts, des millions de personnes sont montés jusqu’au Macchu Picchu, les îles flottantes du lac Titicaca ne sont plus un mystère, on peut voir n’importe quelle partie du monde depuis un écran de télé. L’Explorateur à venir va plutôt à la découverte de différentes planètes. Je lui ressemble encore moins. Dommage.


(autobiographie imaginaire)

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