lundi 30 mars 2009

Délire à la Disney

Aujourd’hui, je suis enfin seule pour quelques heures, quelques heures de liberté pour que je puisse m’occuper enfin de moi, de mon corps complètement délaissé depuis des mois, de ma santé, passée en second plan, de mes envies qui ne font parties que de mes rêves. Avant de sortir et profiter du soleil qui ose enfin affronter l’hiver, je vais faire le plein de vitamines et boire un grand verre de jus de fruits frais. J’ouvre la porte du frigo et me retrouve projetée en arrière, plaquée au sol par trois carottes tout droit sorties du tiroir à légumes. Elles me jettent au sol et me menacent de leur bout pointu. Je proteste et me débats, je ne leur ai encore rien fait, je voulais juste m’hydrater. J’arrive presque à me sortir de cette situation inconfortable quand quelques tomates arrivent en renfort. D’un coup de pied je les projette contre la porte de la poubelle, l’une d’elles s’écrase comme une vieille chaussette et se vide de son sang, quant aux trois autres, mal en point, déclarent forfait et rentrent brinquebalantes dans leur compartiment en bas du frigo. Les carottes, elles, résistent, je suis coincée. Je ne comprends pas cette inimitié soudaine et agressive, et je tente la conciliation. Mais rien y fait, on ne parle pas la même langue, elles sont Belges. Je profite alors d’un moment d’inattention et renverse la situation.
Le téléphone sonne quand je suis en train d’étrangler la dernière carotte.

- Oui maman, non, là je ne peux pas.
- T’es occupée ?
- Oui, on peut dire ça ! Je te rappelle dès que j’ai un moment.

Je raccroche. Je retourne dans la cuisine. Aucune trace de lutte, j’ai rêvé. Sur la porte du frigo, j’aperçois un post-it. En m’approchant, je me rends compte que c’est une liste de courses. Etrangement, cette liste est signée d’un grand C et accompagnée d’une fane.
Dépitée et sans vraiment être maître de mes gestes, je me dirige vers la voiture mon sac de commissions à la main. Je renonce au sport, au bain, aux crèmes hydratantes et autres lotions pour le corps, je renonce à l’épilation et au massage, j’oublie les librairies et les livres, j’oublie mes envies, je m’oublie, et je démarre, résignée.
Arrivée au supermarché, je sors la liste de courses et commence à lire. Un brouhaha se fait dans le rayon d’à côté, certainement quelque chose d’excitant à raconter à mes voisines en rentrant. Poussée par la curiosité, je vais voir et me retrouve coincée entre les choux et les pommes de terre qui se disputent. L’objet de leur querelle : celui qui est le meilleur en soupe. Je veux partir vite mais suis prise à témoin par les poireaux qui me demandent mon avis pour les départager. ‘Les pommes de terre’ dis-je sans conviction. Alors que ces dernières crient de joie, les choux, vexés, leur sautent dessus. Puis les poireaux et les carottes s’en mêlent et c’est le tour des fenouils et des salades. Je suis effrayée par ce que je vois et ne comprends pas pourquoi les légumes ont décidé d’être aussi bagarreurs aujourd’hui. Je profite de cette agitation pour m’enfuir, bien résolue à ne plus croiser un légume de la journée, ni de la semaine s’il le faut.
Je remplis mon chariot comme la bonne ménagère que je suis, en suivant scrupuleusement la liste : pain, poulet, pâtes, riz, yaourts, fromages… J’hésite, le gruyère ou la tomme de chèvre ? Le gouda au cumin, c’est bon aussi. J’hésite encore quand je sens quelqu’un qui me tire sur le pantalon. Je regarde, la tomme de chèvre est là, à mes pieds, et me supplie : ‘prends-moi, prends-moi’. Je me retourne vers l’étalage, et le gouda et le gruyère me supplient à leur tour : ‘non, pas elle, prends-nous ! Allez, sois sympa !’. Je me décide enfin pour la tomme, qui a fait des pieds et des mains pour venir jusqu’à moi. Je retourne dans ma liste et j’entends dans mon dos le gouda et le gruyère, amers :

- Elle est lesbienne c’est sûr, pour choisir la tomme… !
- Non, moi je suis sûr qu’elle est raciste, c’est la française qu’elle a pris.
- De toute façon, elle n’a pas de goût !

Je les entends encore crier alors que je me dirige vers les caisses : ‘Connasse, pétasse, tu le regretteras !’. Je regarde autour de moi, un peu gênée par ces insultes à mon égard. Mais personne n’a l’air de remarquer ou d’entendre quoique ce soit. J’essaye alors de me ressaisir et de me concentrer sur mes achats. J’espère n’avoir rien oublié, je n’ai aucune envie de revenir faire les courses demain.



("Rêves à foison")

jeudi 19 mars 2009

Tupolev

- Pépé, pépé, c’est vrai que t’as été pilote d’avion pour les Russes ?

- Ah mais… qui t’a dit ça ?

- Tu me racontes, dis ?! Allez pépé…

- C’était il y a bien longtemps, c’est du passé maintenant…

- S’il te plait !

- Bon très bien, je vais te raconter la dernière fois que j’ai piloté un avion militaire mais ne m’interromps pas aujourd’hui !

- Non, non, promis.

- C’était en 1959, et à bord d’un Tupolev Tu-16R, ma mission était d’écouter le trafic radio et radar des pays adverses en parcourant le ciel au-dessus de ceux les plus critiques et de leurs environs. Je parle évidemment de l’époque de l’Union Soviétique et de la guerre froide. Mais tu sais ce que c’est la guerre froide ?

- Mais oui, voyons pépé, qu’est-ce que tu crois, on nous apprend des choses à l’école !

- Bon, bon, bon, d’accord, très bien. Ce sera plus facile pour moi ! C’est donc un jour de juin 1959 que nous sommes partis… oui, nous, mes coéquipiers et moi, nous étions six dans l’avion, Alexeï, Sacha, Sergueï, Youri,… moi et… Bref ! Nous avions survolé une partie de l’Europe et nous étions sur le chemin du retour quand notre avion a eu une défaillance technique qui nous a laissé à peine le temps de repérer un endroit pour atterrir. Et c’était la chute !

- Mais comment vous avez fait ? T’es pas mort puisque t’es là ! Qu’est-ce qui s’est passé alors ?

- J’y viens, un peu de patience ! En clair, mon avion est devenu incontrôlable et grâce à une voie d'évitement artificielle au milieu des champs, je suis arrivé tant bien que mal à poser l’engin ; nous avons tous été secoués, coupés jusqu’à l’os, des côtes cassées, les gueules en sang mais il fallait vite se ressaisir, à plusieurs on a ouvert le cockpit et on est descendu. On aurait pu y rester, surtout que l’avion a explosé quelques secondes après. Là encore, il fallait réagir sans tarder, nous cacher avant d’être découverts. C’était un matin de juin, à l’aube, quelque part dans la campagne française. Un de nous, Alexeï, a décidé de se faufiler dans la ferme encore endormie qu’on pouvait apercevoir un peu au-dessus ; nous avons donc marché d’un pas rapide, sans s’arrêter, pour arriver avant le lever du soleil. Dans la ferme, tout était calme, même les bêtes dormaient encore. Un couteau suisse dans une main, une lampe torche dans l'autre, Alexeï a tenté d’ouvrir la porte de la grange encore fermée à clef, et là…

- Quoi ?

- Tiens, bizarrement, je n’ai qu’un vague souvenir de ce moment. A l’intérieur, il y avait une petite porte sur laquelle était inscrit : Acteur n°3: et quelque chose d’autre après, mais j’ai beau fermer les yeux et essayer de m’imaginer la scène, rien à faire, ça ne me revient pas !

- C’est…

- Oh, je sais très bien ce que tu vas dire… Mais… Contrairement à ce que tu t’imagines, ce ne sont pas des trous de mémoire que j’ai, non non non, c’est juste ma tête qui est … un peu fatiguée … oui, c’est ça, fatiguée avec tous ces souvenirs militaires.
Bref… Je continue ! Nous nous sommes donc retrouvés dans cette grange qui, par chance, n’était plus utilisée, et on a vite compris pourquoi : elle tombait en ruine. Avec Alexeï qui se vantait de connaître tout le pays comme sa poche, on a commencé à faire des calculs sur la distance qui nous séparait de la Suisse. Et le temps passait, les jours à dormir, les nuits à voler pour manger, on soignait nos blessures comme on pouvait, on montait la garde, on attendait avec impatience l’occasion qui allait nous permettre de fuir. Occasion qui s’est présentée assez rapidement ma foi… Environ trois semaines après l’accident, nous avons réussi à prendre la poudre d’escampette en direction de la frontière Suisse.

- Mais, on n’a pas essayé de vous retrouver et…

- Eh bien, en fait, oui et non. Nous n’avons jamais vu de policiers venir jusqu’à la ferme. Et nos supérieurs on su bien plus tard que l’avion s’était écrasé. Malgré ma réputation de très bon pilote lors d’exercices de vols, ils nous ont imaginés grillés à l’intérieur de notre engin.

- Et comment vous avez fait une fois en Suisse ?

- Financièrement, c’est grâce à Igor, mon frère… mais tu ne l’as pas connu… il avait monté sa propre entreprise à Zürich. Elle marchait bien et il a pu nous aider à retourner à Moscou. Tout n’a pas été aussi simple que ça, non, vraiment! Nous sommes restés longtemps cachés dans une autre ferme, et c’est là que je suis tombé amoureux de votre grand-mère, une belle jeune femme massive…

- Eh pépé, on est au XXIème siècle et on ne dit pas des femmes qu’elles sont "massives".

- Ah ! Bon voilà pour aujourd’hui, le reste de l’histoire une autre fois ! Dis, tu pourrais m’aider à lire cet article, je n’ai pas mes lunettes et je ne vois pas très bien… C’est au sujet de la grève des pilotes, de réduire des tarifs… « Il faut… de la… s'il se pose… » Non, décidément, sans mes lunettes je ne suis plus bon à rien !

- « Situé en Europe, la compagnie aérienne reçoit chaque jour… » Oh mais il est pas drôle ton article ! Et puis il faut que je parte, il est tard et maman va s’inquiéter si elle me voit pas à la maison quand elle rentre ! A bientôt pour la suite de ton histoire hein !

- Oui, oui c’est ça !!



(texte écrit à partir d'une matrice)