vendredi 9 janvier 2009

Boulot d'été

Marcher, marcher et marcher encore. Marcher du matin jusqu’au soir, marcher le long de ces vignes, sans s’arrêter, de haut en bas, puis de bas en haut, marcher et aller vite. Marcher et se baisser pour attraper le fil de fer, fixé d’un bout à l’autre de la vigne pour en faciliter, soit-disant, le relevage, et l’accrocher aux minuscules clous plantés en haut des poteaux. Marcher et se baisser pour égourmander, ou enlever ces jeunes pousses superflues aux pieds des vignes. Puis marcher à nouveau et se baisser encore quelques mètres plus loin. Et ce fil qui se prend dans les mauvaises herbes, le chercher, le tirer de toutes ses forces, avancer trois pas pour le sortir des ronces, reculer de deux et recommencer l’opération avec plus de succès. S’écorcher les doigts au fil complètement rouillé, se prendre les jeunes branches longues et vigoureuses dans les yeux et s’énerver et jurer que c’est la dernière fois, que plus jamais. Puis continuer sur ce chemin à se tordre les pieds, à se piquer aux orties, à s’égratigner aux ronces et à râler. Des heures entières en silence, des heures entières seul avec soi-même à ne s’accorder aucune pause, sauf pour une gorgée d’eau. Le chant des oiseaux invitant à la rêverie. Et le rêve de s’installer quelques instants. Un hamac non loin de la mer ou au bord d’une piscine, les pieds en éventail... Un lit bien douillet juste pour quelques minutes, histoire de reposer le corps et les yeux...
Se réveiller brusquement au milieu des vignes par une radio hurlant à tue-tête, quelqu’un de plus rapide, une habituée... Regarder alors derrière soi l’étendue des dégâts de ce moment d’évasion : faire marche arrière pour quelques branches hirsutes et indomptables. Et se vider la tête complètement pour ne pas la perdre. Marcher sans penser à rien... Difficile... Mais pas impossible. Faire les gestes mécaniquement, l’un après l’autre, marcher, se baisser, chercher le fil, le relever, l’accrocher aux poteaux, égourmander, vérifier que tout est en place et recommencer. Quelques défis pour se donner du courage : finir le rang avant celle de la radio et il m’aimera toute la vie... Perdre. Recommencer. Perdre encore... défi stupide...
Soleil de plomb. Réveillé aux aurores pour profiter de l’air frais matinal et de la rosée, plus d’efficacité pour les uns... pour d’autres, plus de sommeil. Et pour le reste de la journée : chapeau large et crème solaire ne protégeant pas des coups de soleil. Vêtements légers : choisir le bon t-shirt, remonter le short le plus haut possible et enfouir les chaussettes dans de vieilles chaussures basses, éviter ainsi les marques, et donc le fameux ‘bronzage paysan’ ; essayer au mieux de ne pas avoir l’air ridicule sur la plage le reste de l’été. S’accrocher justement au reste de l’été, s’imaginer le réconfort après l’effort, la douche froide qui attend le soir même et quitter l’odeur de la transpiration installée dans les vêtements depuis les premières heures.
Pluie battante, pluie fine. Mauvaise journée parce que mauvaise humeur pour la journée. Bottes, ciré à capuche, habits de rechange. Pluie sournoise s’accumulant sur les feuilles de vignes pour mieux s’engouffrer dans les manches du ciré, donc du pull, effet mouillé assuré comme dans ces boîtes branchées, la fête et la bonne humeur en moins. Pluie fourbe ramolissant la terre et celle-ci de coller aux bottes pour en faire de vrais boulets à se trainer sur les interminables aller et retours du vignoble. Pluie insidieuse transformant les mains les plus vigoureuses en de vieilles mains fripées et maladroites, teintées d’une couleur indéfinissable entre le vert du feuillage et la rouille du fil. Et c’est l’image de la douche, chaude cette fois-ci, l’envie d’une manucure pour retrouver des ongles dignes d’une main féminine, le souvenir de cette jolie robe légère et estivale récemment achetée pour lui plaire...
Fin de journée, grand soupir, petit sourire en vue d’un repos bien mérité. Avant de partir, se retourner une dernière fois pour regarder le travail accompli. Réel plaisir des yeux devant une vigne bien rangée... Maigre consolation quand la perspective d’une même journée s’annonce.


(s'évader au travail)

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