jeudi 8 janvier 2009

La vie de Julius Knapp

Avoir 22 ans en 1890, ce n’était pas facile. Mais lorsqu’on était un travailleur plein d’ambitions n’ayant pas froid aux yeux, la vie se présentait différemment. Julius Knapp était un de ceux là : il aimait travailler, il était courageux et audacieux et ne voulait pas que sa famille vive dans la misère.

Sa vie de marin avait commencé dès son plus jeune âge. Il avait d’abord suivi son père sur les bateaux, pour, à 15 ans, le remplacer lorsqu’il était souffrant et puis finalement prendre sa place lorsque ce dernier ne pouvait plus bien voir.

A 22 ans, c’était devenu un bel homme, grand, fort, avec une petite moustache blonde, les cheveux longs toujours mal coiffés, cachés dans une casquette qui les protégeait à la fois du soleil, de la pluie et du vent. Son visage était déjà marqué par la vie, par le sel de la mer, le froid. Ses pommettes saillantes et son front plissé lui cachaient les yeux qu’il avait d’un bleu limpide. Il aimait fumer la pipe dès qu’il avait un moment de repos, ou lorsqu’il devait prendre une décision. Ces quelques minutes de réflexion lui évitait de regretter des réponses souvent trop hâtives.

Ce fut le cas ce jour de juillet 1890. On lui proposait un poste de pilote côtier. Il était le seul à avoir passé l’examen de capitaine et à avoir de l’expérience sur les plus gros navires. Il connaissait bien la mer et surtout l’archipel de Göteborg et son port. C’était l’homme de la situation lui avait-on dit.

Sa vie allait donc changer. Finis les longs séjours en mer, les nuits froides et humides, les mains calleuses, les bagarres alcoolisées entre marins étrangers dans les ports étrangers pour des femmes étrangères. Il allait pouvoir rentrer tous les soirs, voir ses enfants grandir, se réchauffer dans les bras de sa femme les longues soirées d’hiver, manger du jambonneau avec de la purée de rutabagas qu’il aimait tant, se promener seul sur la plage et regarder les nuages de pluie arriver sur l’île.

Et sa vie changea. Il passa ses journées à surveiller l’arrivée des navires depuis Marstrand, son île natale, et les acheminer, s’ils en faisaient la demande, jusqu’au port de Göteborg. Il devenait alors, et pour quelques heures seulement, le capitaine de ces paquebots et autres gros navires, il les admirait, il les caressait, il les aimait et il les quittait. Puis il rentrait chez lui, il embrassait sa femme et ses enfants, s’asseyait au coin du feu et fumait sa pipe en pensant à son cousin Jörgen qui était parti pour l’Amérique faire fortune, il y avait bien longtemps de cela. Il s’énervait quand la soupe de pois jaune n’avait pas de lard, râlait quand les journées étaient interminables l’été, déprimait quand le bois pour la cuisinière venait à manquer.

Cette vie-là, il l’avait rêvée, il l’avait idéalisée, et finalement il la détestait. Elle a pourtant duré 10 ans, une éternité.

Il se mit à rêver une nouvelle vie le jour où il reçut une lettre de Jörgen. Celui-ci s’était installé dans une ville du nom de Chicago avec beaucoup de ses amis de voyage, avait une vie que plus d’un au pays pouvait envier, et invitait Julius, son petit cousin préféré, à le rejoindre.
Ambitieux et aventureux de nature, Julius se préparait à partir dès le lendemain. Il allait faire le voyage seul pour commencer et s’installer, puis femme et enfants suivraient une fois que tout serait en place.

Trois mois après avoir reçu la lettre, il laissait le port de Göteborg en tant que passager cette fois. Malgré l’excitation du voyage, ce fut un départ plein de larmes et de chagrin. Il ne savait pas quand il reverrait sa famille la prochaine fois. Il les aimait, il les quittait.

Vilhelmina resta une année, puis une autre, sans aucune nouvelle de son mari. Commençait alors la troisième année quand elle reçut une lettre adressée à Julius. Elle l’ouvrit et lut. C’était Jörgen, il insistait à nouveau pour que Julius aille le rejoindre, qu’il avait du travail pour lui, que c’était… Elle ne lut pas la suite, referma la lettre, la déposa sur la cheminée, s’assit et pleura.


(la vie)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire